Conseil d'éthique clinique

Conseil d'éthique clinique

Introduction à une éthique clinique.

 

      Il est important de rappeler que ce travail s’inscrit dans une démarche singulière, celle de la relation de soin entre un professionnel et un sujet malade. Je ne développerais pas ici la partie purement médicale de l’expression.

 

S’agissant de « l’éthique », les choses sont immédiatement complexes. Les théories philosophiques sont nombreuses. Quatre grandes tendances émergent avec les éthiques : eudémonistes (ou des vertus) et la figure d’Aristote, déontologiques issues de l'œuvre de Kant, conséquentialistes et utilitaristes (Bentham et John Stuart Mill), et ce que l’on peut nommer celles du don (Derrida). Lévinas décrit une éthique centrée sur l’altérité mais qui ne correspond pas véritablement à la définition généralement admise. On le sait, nous vivons dans une société plurielle où circulent des opinions très différentes et dans des discussions, comme ceux de notre comité, se posent la question du courant que l’on doit choisir.

Car aucune éthique ne prévaut exclusivement chez nos contemporains. En réalité, nous sommes issus de traditions multiples qui parfois convergent, mais souvent se contredisent et occasionnent au mieux des débats.

 

C’est la problématique qu’exprime Olivier Abel, un philosophe français, en écrivant ceci :

« […] les diverses “morales” doivent accepter chacune qu’elles ne peuvent pas avoir d’“effets vertueux” sans avoir aussi des effets pervers. […] C’est pourquoi une société vivante a besoin du débat éthique, de la correction réciproque entre plusieurs éthiques. Pour avoir des vertus, les morales aussi ont des limites. » (1) 


 

Dans ce texte, lorsque l’on entend morale, c’est bien éthique qu’il faut comprendre. De même, le mot vertu pourrait tromper. Vous pourriez penser tout de suite à Aristote. En fait dans « pour avoir des vertus, elles ont aussi des limites », « Vertu », signifie simplement avoir des qualités.

Alors si une telle question se pose, c’est parce que nous vivons dans des sociétés pluriculturelles, mais aussi qu’en nous-mêmes cohabitent plusieurs manières de concevoir notre manière de vivre.

 

 

Il y a quelques années, pour gérer l’éthique clinique, j’ai pris le parti de suivre la pensée de Paul Ricœur. Dans l’idée d’avoir un axe de réflexion tout en gardant une oreille attentive aux autres expressions philosophiques. Dans son œuvre majeure, « Soi-même comme un autre », il propose dans ce qu’il appelle sa « Petite éthique » une forme de synthèse entre l’éthique des vertus et l’éthique déontologique.

Il présente une démarche fondée sur la sagesse pratique, celle du sage qui tâtonne pour trouver la meilleure (ou la moins mauvaise) solution possible. On reconnaîtra l’ombre d’Aristote. Mais il s’agit d’une relecture moderne, de ce maître de la Grèce ancienne. Elle laisse de côté les nombreux défauts de sa théorie. C’est évident parce que l’éthique d’Aristote considère a priori que tous les individus ne sont pas égaux. Elle ne s’adresse qu’aux citoyens libres. Elle laisse de côté tous les esclaves et tous les gens qui doivent vivre de leur travail. Elle ignore les femmes, qu’Aristote regarde comme des hommes ratés.

Dans sa définition célèbre, Paul Ricœur décrit l’éthique comme : « La visée d’une vie bonne avec et pour autrui dans une société juste ». De nos jours, cette formule est très souvent utilisée en éthique médicale.

J’ai rappelé la grande diversité des opinions dans la société occidentale contemporaine. Pour éviter la violence et en l’absence de doctrine éthique unique, un dialogue est nécessaire. Dans notre groupe, il se déroule selon une procédure précise, ordonnée, celle de l’éthique de la discussion (Apel et Habermas). Cela sous-entend une sérénité dans les débats, une grande liberté d’expression et une égalité entre les membres, ce que nous obtenons.

Mais surtout, elle nécessite des arguments raisonnés pour justement pouvoir les confronter, les peser et trouver une réponse commune. C’est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. On trouvera plus facilement un accord sur une conduite pratique que sur les valeurs à mettre en jeu.

Désormais, on ne peut pas présenter ses convictions intimes comme étant une sorte de loi universelle et non discutable. Elles sont parfaitement respectables, mais dans la mesure où elles admettent la liberté d’autrui. Dans une sorte de règle d’or : « ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas que l’on vous fasse ». Tout en ayant à l’esprit qu’il convient de se conformer aux normes de la société où nous vivons.

Dans le champ sémantique ainsi défini pour l’éthique clinique, le Droit semble s’opposer à l’éthique. Il me demande de respecter la liberté d’autrui et de mettre sa liberté comme limite à ma propre liberté. Mais en principe, il ne m’oblige pas à avoir telle ou telle attitude vis-à-vis de moi-même, au contraire, le Droit vise à protéger l’exercice de ma liberté, pour que je puisse mener ma vie comme je l’entends.

La perspective déontologique fait référence à la loi morale. Je lui dois respect. Elle m’oblige à une certaine attitude vis-à-vis de moi-même et d’autrui. L’autre est considéré comme une fin et non comme un moyen. Pour les éthiques déontologiques, ce qui motive l’action, ce qui détermine le sujet à mettre entre parenthèses son désir pour n’écouter que la voix de son devoir, c’est être véritablement humain, justement, pour être libre.

 

Pour terminer, ce pas le lieu d’éclairer tous les éléments de cette citation de Paul Ricœur. J'en pointerai seulement le dernier mot : la « justice ». Elle se veut distributive. Dans une société juste chacun doit recevoir selon ses besoins. Et bien évidemment pour exclure tout arbitraire, une véritable éthique ne peut pas exister sans un état structuré par le droit. Autrement dit, éthique et droit, normes et convictions sont complémentaires.

 

J’ai décrit "l’atmosphère" où évolue notre comité. Ce blog veut en être le reflet. J’aurais l’occasion de reprendre tous ces points par la suite.

 

Dr P. Caumette

20/05/2020

 

1. Olivier Abel, « Comment peut-on enseigner la morale ? » La Croix, 6 décembre1997 citation reprise dans Hommes et libertés, septembre 2008.

 



20/05/2020
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 21 autres membres