Conseil d'éthique clinique

Conseil d'éthique clinique

Tri des malades en période de Covid

Je voudrais revenir sur le tri des malades pendant la crise aiguë, en lien avec la covid en France. Je propose une lecture avec un modeste éclairage philosophique éthique. Je n’ouvrirai aucune discussion politique, mais je voudrais poser quelques éléments propres à la construction d’une réflexion éthique en médecine. Il appartient à chacun de se faire une opinion selon ses convictions intimes. Je vous prie de considérer ce texte comme une ébauche, si cela vous intéresse, nous pourrons y revenir.

Mon quotidien favori s’étonne en une que pendant cette période l’on trouve beaucoup moins de personnes de plus de 65 ans dans les services de réanimation[c1] .

Ma première réaction en lisant l’article a été de dire que depuis de nombreuses années nous vivons dans un système de santé qui est cantonné dans un budget limité. Je suis surpris que nos journalistes semblent le découvrir aujourd’hui. Cependant par rapport à beaucoup d’autres pays nous sommes encore bien dotés. Mais comme on le sait, les coûts de la santé augmentent régulièrement et les budgets ne peuvent pas toujours suivre.

 

En éthique, il est de tradition d’envisager quatre grandes théories. Je vous propose d’analyser avec ces éclairages le dilemme posé par ce budget limité.

La philosophie du don (Dérida) considère que l’on doit donner sans rien attendre en retour et dans la gestion des soins cela se traduirait par : « sans limites de dépenses ». Cela se rapproche des principes de la médecine hippocratique. On soigne sans se préoccuper des coûts. Nous savons que désormais c’est impossible devant l’accroissement continuel du prix de la santé.

Une éthique des vertus (Aristote) renvoie à la « prudence » de l’agent qui agit selon les vertus ;

Elle est actualisée selon Ricœur et nous renvoie à la sagesse pratique du soignant qui sait prendre la meilleure solution, ou la moins mauvaise, selon le contexte. Son action respecte les préceptes de la loi morale prônée par la société. Je rappelle que le philosophe contemporain a proposé une synthèse entre la philosophie éthique des vertus et une éthique déontologique incarnée par Kant. Ce dernier parlait de la loi qui est au-dessus de moi et qui s’impose à moi en toutes circonstances. Je crois pouvoir dire que nous utilisons une démarche proche en éthique clinique. En pratique, cela revient à peser les avantages et les inconvénients de la décision à prendre.

Enfin, il existe un courant très important surtout visible en pays anglo-saxon : l’utilitarisme. On le retrouve de plus en plus dans la mentalité de nos décideurs continentaux et des médecins modernes. Il s’agit, pour simplifier le propos, de privilégier le bonheur dans la société au profit du plus grand nombre. Cela sous-entend qu’une minorité d’individus sera pénalisée. Cette démarche se rapproche beaucoup de la coloration de certaines décisions en matière de soins. Dans la notion de qualy par exemple on considère que vivre une courte période en parfaite santé équivaut à une période plus longue où l’on serait moyennement atteint.

 

Dans l’actualité, durant la crise sanitaire, devant la limitation des moyens disponibles, le système de santé fonctionne comme si l’on privilégiait les personnes les plus aptes à guérir de la maladie.

Cependant d’un point de vue éthique « clinique » ces décisions sur les modalités de prise en charge ne doivent pas être uniquement fondées sur des critères d’âge (au-delà de 65-70 ans), mais bien sur des preuves scientifiques. Ici en l’occurrence l’expérience médicale prouve que les personnes âgées ne résistent pas à un « marathon » de 3 à 4 semaines de réanimation intensive. Je rappelle simplement que pour les autres pathologies la moyenne de séjour en soins intensifs est de quelques jours seulement et je souligne que beaucoup de sujets ont gardé de lourdes séquelles de leur hospitalisation en soins aigus.

 

Nous avons vu que la résolution d’un dilemme en médecine se réalise en utilisant un certain nombre d’éléments d’origines diverses. C’est tout l’intérêt de l’éthique clinique que de permettre à des sujets de se former, "à l’avance", pour prendre la décision la moins mauvaise possible le moment venu. L’âge du patient n’est qu’un des éléments de la décision et même si ce n’est pas le premier à envisager cela reste un élément important de la réflexion. Cela nous renvoie à la grille d’analyse que nous utilisions il y a une trentaine d’années, en particulier à Lyon : les critères techniques (y compris économiques), déontologiques… Cela confirme la nécessité d’argumenter rationnellement la prise en charge thérapeutique. Je m’en tiendrai là pour ma petite présentation, mais il y a encore beaucoup à dire…

P. Caumette


 [c1]



13/08/2020
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 21 autres membres